À l’ombre des strates
Qu’est-ce que l’art et l’archéologie ont en commun ? À première vue, le rapprochement de ces deux disciplines pourrait surprendre. L’une est l’expression de la subjectivité de l’artiste, tandis que l’autre serait davantage ancrée dans une démarche de connaissance historique, fondée sur des méthodes scientifiques. Pourtant, un grand nombre d’artistes s’inspirent de l’univers archéologique, partageant un intérêt pour l’interprétation et la représentation de traces matérielles. En retour, des archéologues décèlent dans l’art contemporain des espaces de réflexion sur leur pratique, susceptibles de questionner
l’objectivité généralement prêtée à l’approche scientifique. À l’ombre des strates est une exposition d’Apolline Grivelet et Marion Richomme qui traite de la rencontre entre des œuvres contemporaines et des objets millénaires issus de la collection du musée archéologique de l’Oise. Les artistes se substituent aux archéologues et muséologues pour mener une réflexion sur le temps. Dialoguant avec les artefacts du passé, leurs œuvres invitent les publics à découvrir, analyser et démêler les différentes strates géologiques, historiques et thématiques qui s’offrent à elles et eux. En ce sens, l'espace d'exposition se divise en plusieurs zones, structuré par un mobilier muséographique détourné. À la lueur des luminaires conçus par les artistes, ce parcours nous propose de revisiter le passé à partir d’une lecture contemporaine, sans en écarter les potentialités futures, créant ainsi une relation poreuse entre les temporalités.
Pour autant, il n’est pas question de tout mettre à jour, ni de transmettre une vérité historique à travers l’espace muséal et scientifique. Des zones restent volontairement inexplorées par les artistes, confiant ainsi une marge d’interprétations nouvelles aux archéologues du futur. De plus, distinguer l’objet archéologique de l’œuvre d’art peut s’avérer difficile. Des pierres semi-précieuses, des fossiles ou encore des pièces antiques exhumés et interprétés par les artistes sont autant de simulacres qui témoignent de l’impossible réduction du réel à une seule signification. Si l’objectif des archéologues vise à « l’étude des traces matérielles des civilisations et de leur environnement passé1», leurs aspirations et méthodes nous renseignent également sur le contexte social contemporain. Ainsi, l’exposition interroge nos propres perceptions sur l’histoire des sociétés, remettant en cause l’idée d’une progression linéaire dans le temps. Elle se transforme en un laboratoire d’hypothèses, où se croise une multitude de strates, matérialisant ainsi l’épaisseur du temps.
Zélia Bajaj
1 Michaël Jasmin et Audrey Norcia (dir.), Vertiges des temps – Dialogue entre l'art contemporain et
l'archéologie, Dijon : les presses du réel, 2024.